Par Alastair Crooke - Le 24 avril 2025 - Source Strategic Culture
Trump se retrouve manifestement au cœur d'un conflit existentiel. Il dispose d'un mandat énorme. Mais il est entouré d'un front ennemi intérieur résolu, dont la forme est une « préoccupation industrielle » imprégnée de l'idéologie de l'État profond centrée principalement sur la préservation de la puissance mondiale des États-Unis (plutôt que sur le redressement de l'économie).
Par contre, la question clé pour MAGA n'est pas la politique étrangère mais la manière de rééquilibrer structurellement un paradigme économique qui mène à l'extinction. Trump a toujours clairement indiqué qu'il s'agissait là de son objectif primordial. Sa coalition de partisans est fixée sur la nécessité de relancer la base industrielle de l'Amérique, afin de fournir des emplois raisonnablement bien rémunérés.
Pour l'instant, Trump dispose peut-être encore d'un large mandat, mais un danger extrême le guette - et pas seulement venant de l'État profond et du lobby israélien. La bombe de la dette de Yellen est la menace la plus existentielle. Elle menace le soutien dont bénéficie Trump au Congrès, car la bombe risque d'exploser peu avant les élections de mi-mandat de 2026. Les nouvelles recettes douanières, les économies réalisées par le DOGE et même les réaménagements dans le Golfe sont tous axés sur la mise en place d'une sorte d'ordre fiscal, afin que la dette à court terme de plus de 9 000 milliards de dollars - dont l'échéance est imminente - puisse être reportée à plus long terme sans avoir recours à des taux d'intérêt mirobolants. C'est le petit fil conducteur Yellen-Démocrate pour l'agenda de Trump.
Jusqu'à présent, le contexte général semble assez clair. Cependant, les divisions au sein de l'équipe de Trump se manifestent dans les détails : comment rééquilibrer l'économie, comment gérer la « bombe de la dette » et jusqu'où la DOGE doit aller dans ses coupes budgétaires. En fait, la guerre des taxes douanières et le bras de fer avec la Chine agitent une nouvelle phalange d'opposants : ceux (certains à Wall Street, les oligarques, etc.) qui ont largement profité de l'âge d'or de la création monétaire, apparemment illimitée ; ceux qui se sont enrichis, précisément grâce aux politiques qui ont asservi l'Amérique à la « bombe de la dette » américaine qui se profile à l'horizon.
Pour compliquer encore les choses, deux des éléments clés du « rééquilibrage » et de la « solution » pour la dette évoqués par Trump ne peuvent être chuchotés et encore moins prononcés à voix haute : D'une part, il s'agit de dévaluer délibérément « le dollar que vous avez dans votre poche ». D'autre part, beaucoup plus d'Américains vont perdre leur emploi.
Ce n'est pas vraiment un argument de vente populaire. C'est probablement la raison pour laquelle le « rééquilibrage » n'a pas été bien expliqué au public.
Trump a lancé le « choc tarifaire » apparemment dans l'intention de lancer une restructuration des relations commerciales internationales - comme première étape vers un réalignement général des valeurs des principales devises.
Cependant, la Chine n'a pas adhéré à ce « truc » des droits de douane et des restrictions commerciales, et les choses se sont rapidement envenimées. Il a semblé un moment que la « coalition » Trump aurait pu se fracturer sous la pression de la crise concomitante du marché obligataire américain et de la crise tarifaire qui a ébranlé la confiance.
En fait, la coalition a tenu bon, les marchés se sont calmés, mais elle s'est ensuite fracturée sur une question de politique étrangère - l'espoir de Trump de normaliser les relations avec la Russie, en vue d'une grande réinitialisation mondiale.
Les néocons et les partisans de l'État d'Israël constituent l'un des principaux courants de la coalition Trump (hormis les populistes du MAGA). Une sorte de marché faustien aurait été conclu par Trump dès le départ, en faisant en sorte que son équipe soit fortement composée de zélés Israéliens d'abord.
En d'autres termes, l'ampleur de la coalition dont Trump pensait avoir besoin pour remporter l'élection et rééquilibrer l'économie comprend deux piliers de politique étrangère : Tout d'abord, la réinitialisation avec Moscou - le pilier par lequel mettre fin aux « guerres éternelles », que sa base populiste déteste. Le deuxième pilier est la neutralisation de l'Iran en tant que puissance militaire et source de résistance, sur laquelle les partisans de l'État d'Israël - et Israël - insistent (et avec laquelle Trump semble tout à fait à l'aise). D'où le pacte faustien.
Les aspirations de « pacificateur » de Trump ont sans aucun doute ajouté à son attrait électoral, mais elles n'ont pas été le véritable moteur de sa victoire. Ce qui est devenu évident, c'est que ces divers agendas - étrangers et nationaux - sont interdépendants : un recul de l'un ou l'autre agit comme un domino qui pousse ou retarde les autres agendas. En termes simples : Trump dépend des « victoires » - des « victoires » précoces - même si cela signifie se précipiter vers une « victoire facile » potentielle sans se demander s'il existe une stratégie solide (et la capacité) pour y parvenir.
Il s'avère que les trois objectifs de l'agenda de Trump sont plus compliqués et diviseurs qu'il ne s'y attendait. Lui et son équipe semblent captivés par les préjugés occidentaux telles que : la guerre se produit généralement « Là-bas » ; la guerre dans l'ère de l'après-Guerre froide n'est en fait pas une « guerre » au sens traditionnel d'une guerre totale, mais plutôt l'application limitée d'une force occidentale écrasante contre un ennemi incapable de menacer de la même manière ; et enfin que la portée et la durée d'une guerre sont décidées par Washington et son « jumeau » de l'État profond, Londres.
Ainsi, ceux qui parlent de mettre fin à la guerre en Ukraine par un cessez-le-feu unilatéral imposé (c'est-à-dire la faction de Walz, Rubio et Hegseth, dirigée par Kellogg) semblent supposer allègrement que les conditions et le calendrier de la fin de la guerre peuvent être décidés à Washington et imposé à Moscou par l'application limitée de pressions et de menaces asymétriques.
Tout comme la Chine n'adhère pas aux « trucs » de restrictions tarifaires et commerciales, Poutine n'adhère pas non plus aux « trucs » de l'ultimatum : (« Moscou a des semaines, pas des mois, pour accepter un cessez-le-feu«). Poutine a patiemment essayé d'expliquer à Witkoff, l'envoyé de Trump, que la présomption américaine selon laquelle la portée et la durée de toute guerre dépendent en grande partie de l'Occident ne correspond tout simplement plus à la réalité d'aujourd'hui.
Et, de même, ceux qui parlent de bombarder l'Iran (ce qui inclut Trump) semblent également supposer qu'ils peuvent également dicter le cours et le contenu essentiels de la guerre ; les États-Unis (et Israël peut-être), peuvent simplement décider de bombarder l'Iran avec de grosses bombes anti-bunker. Et voilà ! Fin de l'histoire. On suppose qu'il s'agit d'une guerre facile et qui se justifie d'elle-même - et que l'Iran doit accepter qu'il s'en est pris à lui-même en soutenant les Palestiniens et d'autres factions refusant la normalisation israélienne.
« Nous avons donc affaire à des horizons limités, une imagination et une expérience limitées. Mais il y a un autre facteur déterminant : le système américain est reconnu pour être tentaculaire, conflictuel et, par conséquent, largement imperméable à l'influence extérieure et même à la réalité. L'énergie bureaucratique est presque entièrement consacrée aux luttes internes, qui sont menées par des coalitions changeantes dans l'administration ; au Congrès ; dans le monde des « experts » et dans les médias. Mais ces luttes concernent, en général, le pouvoir et l'influence [domestiques] - et non les contraintes inhérentes à un problème, et [donc] ne nécessitent aucune expertise ou connaissance réelle"."Le système est suffisamment vaste et complexe pour que vous puissiez faire carrière en tant qu' »expert sur l'Iran«, par exemple, à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement, sans jamais avoir visité le pays ou parlé la langue - en recyclant simplement la sagesse standard d'une manière qui attirera les financements. Vous mènerez des batailles avec d'autres supposés « experts », dans un périmètre intellectuel très restreint, où seules certaines conclusions sont acceptables".
Ce qui devient évident, c'est que cette approche culturelle (le Complexe industriel des Think Tanks) induit une paresse et la prévalence de l'orgueil dans la pensée occidentale. Cela laisse supposer que Trump pensait que Xi Jinping se précipiterait pour le rencontrer, suite à l'imposition de taxes douanières - pour plaider en faveur d'un accord commercial - parce que la Chine souffrirait de vents économiques contraires.
Le préjugé de Kellogg suppose également que la pression est à la fois la condition nécessaire et suffisante pour obliger Poutine à accepter un cessez-le-feu unilatéral - un cessez-le-feu que Poutine avait pourtant déclaré à plusieurs reprises qu'il n'accepterait pas tant qu'un cadre politique n'aurait pas été convenu au préalable. Lorsque Witkoff relaie le point de vue de Poutine au sein de la discussion de l'équipe Trump, il se présente comme un contrariant, parlant en dehors du « discours autorisé » qui insiste sur le fait que la Russie ne prendra au sérieux la détente avec un adversaire qu'après y avoir été forcée par une défaite ou un sérieux revers.
L'Iran a lui aussi répété à maintes reprises qu'il ne serait pas dépouillé de ses défenses conventionnelles, de ses alliés et de son programme nucléaire. L'Iran a probablement les capacités d'infliger d'énormes dégâts à la fois aux forces américaines dans la région et à Israël.
L'équipe Trump est divisée sur la stratégie ici aussi - en gros, négocier ou bombarder.
Il semble que le pendule ait basculé sous la pression intense de Netanyahu et des dirigeants institutionnels juifs aux États-Unis.
Quelques mots peuvent tout changer. Dans une volte-face, Witkoff est passé de la déclaration de la veille disant que Washington serait satisfait d'un plafond sur l'enrichissement nucléaire iranien et n'exigerait pas le démantèlement de ses installations nucléaires, 𝕏 à l'affichage sur son compte officiel X que tout accord obligerait l'Iran à « arrêter et éliminer son programme d'enrichissement nucléaire et d'armement », c'est-à-dire qu'un accord avec l'Iran ne sera conclu que s'il s'agit d'un accord Trump. Sans un net éclaircissement de Trump à ce sujet, nous sommes sur la voie de la guerre.
Il est clair que l'équipe Trump n'a pas réfléchi aux risques inhérents à leurs agendas. Leur première « réunion de cessez-le-feu » avec la Russie à Riyad, par exemple, était un théâtre de la facilité. La réunion s'est tenue sur l'hypothèse facile que puisque Washington avait décidé d'avoir un cessez-le-feu rapide, alors « cela sera«.
"Tout le monde sait«, note Aurélien avec lassitude « que la politique de l'administration Clinton en Bosnie fut le produit de furieuses luttes de pouvoir entre des ONG américaines rivales et des anciens des droits de l'Homme - dont personne ne connaissait rien de la région, ni n'y était jamais allé".
Ce n'est pas seulement que l'équipe Trump est insouciante des conséquences possibles de la guerre au Moyen-Orient. Ils sont prisonniers d'hypothèses manipulées leur faisant penser que ce sera une guerre facile.
Alastair Crooke
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.